Transition au « pays des hommes intègres » : vers des moustiquaires plus efficaces au Burkina Faso

« On voit bien que les moustiques dansent sur la moustiquaire. C’est comme s’ils attendaient qu’on sorte de la MILDA pour nous piquer ! »

Voilà comment un chauffeur de taxi burkinabè m’a décrit ce qu’il voit la nuit lorsqu’il est allongé sous sa moustiquaire imprégnée d’insecticide à longue durée d’action (MILDA). Il va sans dire que son commentaire reflète une vérité connue de tous ceux qui luttent contre le fléau du paludisme au Burkina Faso : les moustiquaires standard imprégnées seulement de pyréthrinoïdes ne sont plus en mesure d’assurer leur fonction de protection communautaire contre les vecteurs du paludisme. Ces moustiques dansant sur nos moustiquaires ont développé une résistance aux pyréthrinoïdes, une classe d’insecticide utilisée pour les MILDAs standard. Ces moustiques qui survivent et particulièrement leur descendance développent une résistance de plus en plus intense et complexe1, 2. Ceci érode la confiance de la population dans l’efficacité des MILDAs standard qui ne tuent plus les moustiques pas plus qu’elles ne préviennent du paludisme.

Nous connaissions déjà en 2014 la gravité du problème après qu’une étude a démontré qu’il fallait plus de 1 000 fois la dose prescrite de l’ingrédient actif des MILDAs, la deltaméthrine, pour tuer les moustiques résistants de la Vallée du Kou3. On comprend alors que ce degré de résistance trouvé chez les moustiques au Burkina Faso affecte sévèrement la performance des MILDAs ordinaires. Une chose est claire : l’intensité de cette résistance a été associée à l’échec des mesures de lutte contre le paludisme et donc à une augmentation spectaculaire des cas. Or depuis un certain temps, un tout nouveau type de MILDA combinant du butoxyde de pipéronyle (PBO) avec de la deltaméthrine, suscite un intérêt grandissant en tant qu’innovation capable de défier le challenge posé par la résistance aux insecticides.

L’absence de tout consensus sur les méthodes de mesure de l’intensité de la résistance et l’incapacité de lier cette intensité à l’échec des outils continue de dangereusement retarder la réaction de la Communauté Internationale. Aussi, sans davantage d’évidences et sans changement de politique, la campagne de distribution de masse de 2016 a inévitablement vu le déploiement de moustiquaires standard dans tout le pays. Ces moustiquaires standard, certes moins chères4 (les moustiquaires à base de PBO coûtent environ 0,8 centimes de plus qu’une standard) offrent une couverture moins efficace que les moustiquaires à base de butoxyde de pipéronyle (PBO) qui permettent un meilleur contrôle de la transmission de la malaria dans les zones de résistance aux pyréthrinoïdes5. En conséquence, l’approche financière à court terme consistant à distribuer des MILDAs standard a prévalu sur l’approche efficace, à même de sauver davantage de vies.

MILDA standard et réstistance aux insecticides

Début 2018, au moment de se préparer pour la campagne 2019 de distribution universelle de MILDAs, le gouvernement burkinabè était confronté à la nécessité de prendre une décision : distribuer encore une fois les moustiquaires standard uniquement à base de pyréthrinoïdes ou bien passer aux moustiquaires nouvelle génération, telles que la PermaNet® 3.0. Comparée aux moustiquaires standard, la PermaNet®3.0 est une MILDA PBO à base de pyréthrinoïdes qui s’appuie sur dix années d’études. Ce produit et son allégation d’efficacité accrue ont été examinés et validés par le Groupe Consultatif pour la Lutte Antivectorielle (VCAG) de l’OMS6.

Une moustiquaire capable de tuer les moustiques et d’empêcher les piqûres est essentielle pour la prévention du paludisme. Lorsque les insecticides ne sont plus en mesure de tuer les moustiques, les décideurs doivent opter pour un outil plus efficace. Il a été documenté que ces nouvelles MILDAs traitées au butoxyde de pipéronyle (PBO) augmentent l’efficacité des pyréthrinoïdes7.  Au Burkina Faso, ces nouvelles MILDAs ont démontré offrir 30% de protection en plus. Les MILDAs PermaNet® 3.0 procurent le plus important gain en efficacité8 contre les vecteurs du paludisme résistants du Burkina Faso ; une résistance qui se propage rapidement dans toute l’Afrique où le paludisme est endémique.

L’union fait la force : un pays qui s’est mobilisé

Le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) avait récemment créé le Comité national de gestion de la résistance aux insecticides (CONAGRI), qui rassemble toutes les forces entomologiques et épidémiologiques du Burkina Faso, des représentants de la communauté nationale de lutte contre le paludisme et des décideurs gouvernementaux.

Dans le but de stimuler le réseau de recherche sur la lutte contre les vecteurs dans la région, accumuler des évidences et renforcer les capacités, le Partnership for Increasing the Impact of Vector Control (PIIVEC) a été formé, réunissant le Cameroun, le Burkina Faso et le Malawi, avec le soutien de la Liverpool School of Tropical Medicine (LSTM). Des données rigoureuses et de solides études scientifiques ont documenté l’inefficacité des anciennes moustiquaires standard et le besoin urgent de passer à une nouvelle génération de MILDA : les MILDAs PBO5,9.

Surmonter le défi du passage à de nouvelles moustiquaires plus efficaces

Alors que le Burkina Faso souhaiterait mettre fin à l’utilisation des MILDAs standard mono-traitées aux pyréthrinoïdes et les remplacer par des moustiquaires de nouvelle génération, les contraintes budgétaires actuelles ne le permettent pas. En conséquence, pour la campagne 2019, il a été possible de déployer les MILDAs de nouvelle génération uniquement dans quatre régions prioritaires, représentant 30% de la couverture requise.

Cette toute première campagne de distribution de différents types de produits comprend 2,9 millions de moustiquaires de nouvelle génération, soit 1,4 million de moustiquaires PBO PermaNet® 3.0 et 1,5 million de moustiquaires à double ingrédient actif (Dual Active Ingredient) subventionnées par USAID et 9,4 millions de MILDAs standard. Les scientifiques du pays travaillent à garantir que des études d’impact intègrent tous les types de moustiquaires déployées. Cela permettra de disposer de données comparatives pour trois différentes sortes de moustiquaires déployées dans le cadre d’une campagne de distribution nationale.

Les acteurs de terrain et les membres de la communauté sont ravis des PermaNet® 3.0 distribuées, ces « belles moustiquaires avec leur toit bleu et leurs parois en tissu doux ! »  Les moustiques en revanche se réjouissent beaucoup moins. Les résultats de deux essais contrôlés randomisés par grappes menés en Tanzanie et en Ouganda ont éclairé depuis lors la politique de l’OMS sur le déploiement des MILDAs PBO, y compris les PermaNet® 3.05,9. Nous espérons qu’une transition complète des MILDAs standard vers les MILDAs PBO se produira dans les pays confrontés à une résistance aux insecticides lors du cycle de financement 2021-2023 du Fonds Mondial. Nous mettrons alors fin à la danse des moustiques une fois pour toute…

Références

1 Ranson H, Abdallah H, Badolo A, et al. Insecticide resistance in Anopheles gambiae: data from the first year of a multi-country study highlight the extent of the problem. Malaria Journal. 2009;8(299). Disponible à l’adresse suivante : doi : 10.1186/1475-2875-8-299.

2 Badolo A, Traore A, Jones CM, et al. Three years of insecticide resistance monitoring in Anopheles gambiae in Burkina Faso: resistance on the rise? Malaria Journal. 2012; 11(232): 232. Disponible à l’adresse suivante : doi : 10.1186/1475-2875-11-232.

3 Toé, KH, Jones CM, N’Fale S, et al. Increased Pyrethroid Resistance in Malaria Vectors and Decreased Bed Net Effectiveness, Burkina Faso. Emerging Infectious Diseases. 2014; 20(10): 1691-1696. Disponible à l’adresse suivante : doi : 10.3201/eid2010.140619.

4 Organisation mondiale de la santé. Conditions for use of long-lasting insecticidal nets treated with a pyrethroid and piperonyl butoxide. Disponible à l’adresse suivante : https://www.who.int/malaria/areas/vector_control/use-of-pbo-treated-llins-report-nov2015.pdf?ua=1 [consulté le 15 mai 2020].

5 Protopopoff N, Mosha JF, Eliud L, et al. “Effectiveness of a long-lasting piperonyl butoxide-treated insecticidal net and indoor residual spray interventions, separately and together, against malaria transmitted by pyrethroid resistant mosquitoes: a cluster, randomized controlled, two-by-two factorial design trial.” The Lancet. 2018;391(10130): 1577–88. Disponible à l’adresse suivante : doi : 10.1016/S0140-6736(18)30427-6.

6 Scott TW. The WHO Vector Control Advisory Group (VCAG) – A Joint Activity of NTD and GMP. Disponible à l’adresse suivante : https://www.who.int/malaria/mpac/mpac-oct2017-vcag-report-session5-presentation.pdf?ua=1 [consulté le 11 mai 2020].

7 Toé HK. Résistance aux insecticides : impact sur l’efficacité des MILDA. [Présentation] Centre National de Recherche et de Formation sur le Paludisme (CNRFP). 28 septembre 2017.

8 Toé KH, Müller P, Badolo A, et al. Do bednets including piperonyl butoxide offer additional protection against populations of Anopheles gambiae s.l. that are highly resistant to pyrethroids? An experimental hut evaluation in Burkina Faso. Medical and Veterinary Entomology. 2018;32(4):407-416. Disponible à l’adresse suivante : doi : 10.1111/mve.12316.

9 Staedke SG, Gonahasa, S, Dorsey, G, et al.  Effect of long-lasting insecticidal nets with and without piperonyl butoxide on malaria indicators in Uganda (LLINEUP): a pragmatic, cluster-randomised trial embedded in a national LLIN distribution campaign. The Lancet. 2020;395(10232): 1292–1303. Disponible à l’adresse suivante : doi : 10.1016/S0140-6736(20)30214-2.