Au Nigeria, pays comptant le plus lourd fardeau de paludisme au monde, l’expression « ce qui peut être mesuré peut être géré » est prise très au sérieux. Animé par la volonté d’accélérer les progrès de sa lutte contre le paludisme, le Nigeria s’engage dans le tout premier programme national de surveillance post-commercialisation des MILDA destiné à mesurer leurs performances et évaluer leur efficacité en conditions réelles d’utilisation.
Les moustiquaires demeurent l’outil principal de prévention du paludisme dans les zones endémiques. Leur surveillance permet de générer des informations essentielles sur leur performance, sur le comportement des usagers ainsi que sur toute spécification des MILDA qui ne répondent pas aux critères de qualité établis par l’OMS. Ceci permet en retour de nourrir la réflexion des responsables de programmes, des gouvernements et des fabricants sur les décisions d’achat et les stratégies de produits. La surveillance après commercialisation (SAC) compte parmi les stratégies de suivi post-préqualification de l’OMS. Il s’agit également d’une mesure d’assurance qualité figurant dans le rapport 2021 du Bureau de l’Inspecteur général du Fonds mondial sur l’achat de MILDA non conformes1– 2.
Depuis 2015, Vestergaard a collaboré avec de nombreux instituts de recherche et programmes nationaux de lutte contre le paludisme pour collecter sur le terrain et évaluer des moustiquaires PermaNet® 3.0 usagées, 2 à 3 ans après leur distribution 3–5. Les critères d’évaluation portaient sur le niveau de durabilité, la bioefficacité et la composition chimique, ainsi qu’un test additionnel conduit sur les souches de vecteurs spécifiquement identifiées pour leur résistance aux pyréthrinoïdes. L’ensemble de ces données nous ont permis de confirmer que PermaNet 3.0 continue d’offrir une protection significativement accrue par rapport aux moustiquaires à base de pyréthrinoïdes seulement, et ce, pendant toute la durée de vie de PermaNet 3.0. Nos connaissances, perspectives et savoir-faire dans ce domaine ont par la suite permis d’accompagner certains pays endémiques dans la conception et la mise en œuvre des activités de surveillance après commercialisation de leurs moustiquaires. Ces activités de surveillance font aujourd’hui l’objet d’une attention grandissante sur la scène internationale.
Nous avons donc décidé de nous entretenir sur ce sujet avec le Dr Perpetua Uhomoibhi, coordinatrice du national de lutte contre le paludisme (PNLP), au sein du département de santé publique du Ministère fédéral de la Santé du Nigeria, afin de comprendre le processus d’élaboration de ce programme et la façon dont il s’applique en pratique au Nigeria.
Pourquoi le Nigeria a-t-il jugé nécessaire de définir un cadre de surveillance après commercialisation ?
Le Nigeria est le pays le plus durement touché par le paludisme. Il surpasse tous les autres pays en termes de cas et de décès dus à la maladie. À l’heure actuelle, à en croire le dernier Rapport mondial sur le paludisme, le Nigeria et trois autres pays africains recensent à eux seuls un peu plus de la moitié des décès dus au paludisme dans le monde. En effet, nous affichons un taux de 27 %, suivi de la République démocratique du Congo (12 %), de l’Ouganda (5 %) et du Mozambique (4 %).
En outre, le Nigeria compte plus de 200 millions d’habitants et, depuis le lancement de nos campagnes de distribution de moustiquaires en 2009, nous avons distribué 200 millions de moustiquaires, voire plus, à travers les différents États. Il est par conséquent urgent de s’interroger sur l’utilisation de toutes ces moustiquaires et sur leur contribution à la lutte contre le paludisme au Nigeria, d’où la nécessité de collecter les données.
La collecte de ces données nous permettra de faire un retour aux bailleurs, aux fabricants et aux autres parties prenantes de la communauté de prévention du paludisme sur les performances des moustiquaires. Ensemble, nous pourrons ainsi en discuter et ajuster nos stratégies. Générer des données en continu sur l’efficacité des produits nous permettra également d’indiquer aux pays où et quand déployer les produits les plus efficaces afin d’en tirer le meilleur parti.
Le Nigeria est le premier pays à mettre en œuvre une stratégie de surveillance après commercialisation au niveau national. Comment cette initiative a-t-elle été abordée dans le pays et quelles parties prenantes avez-vous sollicitées ?
Tout a commencé avec nos partenaires, bailleurs, chercheurs et parties prenantes qui ont souligné la nécessité de suivre les performances des moustiquaires une fois déployées sur le terrain.
Ont également été conviés à la discussion les organismes de réglementation du pays. Parmi ces derniers, l’Agence nationale pour l’administration et le contrôle des aliments et des médicaments (NAFDAC) et l’Organisation des normes au Nigeria (SON), le seul organisme statutaire chargé de fixer les normes et de réglementer la qualité de l’ensemble des produits au Nigeria.
Au cours d’un atelier de discussion que nous avons organisé, nous avons pu connaître les différents avis et conseils des chercheurs, des partenaires et des parties prenantes impliqués, concernant notamment les données socio-démographiques, les protocoles et les directives à élaborer. C’est ainsi que, quelques mois plus tard, la stratégie de surveillance après commercialisation a vu le jour !
Comment êtes-vous parvenus à convaincre les différentes parties prenantes, en particulier la NAFDAC et le SON, dont les priorités et les intérêts ne sont pas nécessairement axés sur le paludisme ou la lutte antivectorielle ?
Ces organismes sont déjà impliqués dans la réglementation des produits de santé, dont ceux contre le paludisme. Cela constitue donc une priorité pour nous tous. Les convaincre n’a pas été trop compliqué car nous collaborons souvent avec eux, notamment avec la NAFDAC pour ce qui est de l’évaluation et du contrôle de la qualité des produits. En outre, ils assurent déjà la surveillance après commercialisation des médicaments. Ils savent donc combien il est important de collecter des données pour évaluer l’efficacité et la fiabilité des produits importés dans le pays.
Quelle est l’approche adoptée et en quoi rejoint-elle les lignes directrices de l’OMS encore en cours d’élaboration ?
Le pays s’est inspiré de l’approche déjà adoptée par nos partenaires pour le suivi de la durabilité des moustiquaires imprégnées d’insecticide (MII). Nous nous sommes basés sur les ateliers que nous avions organisés lors des premières étapes, en collaboration avec les différents acteurs, afin d’établir notre propre liste d’indicateurs à analyser.
Le Nigeria ne mène pas de campagne nationale de distribution de MILDA. Nous organisons plutôt des campagnes régionales pour la répartition des moustiquaires tous les trois ans dans les États ayant besoin d’une campagne de remplacement, ce qui s’avère plus efficace au vu de l’étendue du pays, du volume des marchandises et du personnel requis. Notre manque de ressources financières, matérielles et humaines nous empêche de distribuer toutes les moustiquaires en même temps*.
Quel usage sera fait des données collectées ?
D’une part, en comparant les résultats des tests d’efficacité aux promesses formulées par les fabricants, nous serons en mesure d’identifier le meilleur fournisseur de moustiquaires et d’en informer nos partenaires financiers. Les fabricants et les gouvernements auront également accès à ces données, ce qui leur permettra d’adapter leurs produits et leurs stratégies en conséquence.
Si, par exemple, l’un de nos fabricants déclare que ses moustiquaires restent parfaitement efficaces pendant trois ans mais qu’au cours des tests, nous constatons un problème technique au bout de seulement six mois, nous allons bien évidemment l’en informer et chercher avec lui la cause du problème. Par ailleurs, cela nous permettra d’orienter nos décisions futures quant aux fabricants ou aux types de moustiquaires à recommander en fonction de leurs performances.
À ce jour, quel a été le principal défi dans la création de ce programme et quel sera, selon vous, le plus grand défi à relever au moment de sa mise en œuvre ?
La création et la mise en œuvre de ce programme n’ont pas été une mince affaire. La question des fonds a toujours pesé dans la balance : nous avons besoin que nos partenaires adhèrent à cette stratégie et nous soutiennent, et nous aurons prochainement besoin de fonds supplémentaires afin d’assurer la pérennité d’un tel projet. Le PNLP a également élaboré un plan de transition vers le projet New Nets (NNP), qui comprend un SAC chiffré destiné à encourager le financement du plan de durabilité.
Ce programme de SAC impliquera de mobiliser de nombreuses ressources sur le terrain pour la collecte des données, mais également pour l’achat des matériaux nécessaires et des outils servant à analyser les échantillons. En raison de l’étendue du pays, de nombreux échantillons devront être prélevés ponctuellement, ce qui requiert un personnel important et une excellente formation.
Quels conseils pourriez-vous donner aux autres pays souhaitant mettre en place un système de surveillance après commercialisation ?
Selon moi, il est essentiel de faire appel à tous les partenaires concernés, organismes de réglementation et autres parties prenantes dès le début du processus. Il faut également mettre en place un bon système : établir un plan détaillé multipliera vos chances de réussite.
J’ajouterai qu’il serait bon d’intégrer votre plan dans la stratégie nationale de lutte antivectorielle de votre pays, afin qu’il soit ancré dans le plan stratégique de lutte contre le paludisme et que le financement de la surveillance après commercialisation soit prévu dans le programme de lutte contre le paludisme. Pour la durabilité. Ainsi, si vous avez un plan stratégique, vous pouvez y chiffrer ses besoins de financement. Organisation et anticipation, voilà le secret.
Enfin, il importe d’encourager les institutions et les mécanismes qui favorisent les interactions entre les chercheurs, les décideurs et les autres parties prenantes afin de pouvoir influer sur l’exploitation des résultats obtenus lors des recherches.
Dr Perpetua Uhomoibhi is a Director in the Federal Ministry of Health where she presently holds the position of National Coordinator of the National Malaria Elimination Programme, Nigeria. Dr Uhomoibhi has over 20 years’ experience in Public Health with a bias in Research and M&E. She has previously worked as technical assistant with UNAIDs office in Geneva, and as a consultant with the National Programme on Immunization, Nigeria. She also worked at the UN Economic Commission for Africa medical centre in Addis Ababa Ethiopia and at the State House Annex Clinic, Abuja as a Medical Officer. As director and head of Surveillance, M&E branch at NMEP, she supported the development of the National Malaria Strategic Plan (2014-2020, and 2021-2025), and coordinated the Malaria Indicator Surveys (NMIS 2015 and 2021 and NDHS 2018) and the National Malaria M&E Plans. She has also co-authored several scientific publications.
Références
1. WHO Prequalification of Vector Control Products. Overview of the WHO Prequalification Assessment of Vector Control Products.; 2021. https://extranet.who.int/pqweb/sites/default/files/documents/WHO_PQT_VectorControlProducts_June2021.pdf
2. Global Fund Office of the Inspector General. Procurement of Sub-Standard Long-Lasting Insecticidal Nets.; 2021. https://www.theglobalfund.org/media/10650/oig_gf-oig-21-001_report_en.pdf
3. Athinya DK, Tungu PK, Peter M, Frank M, Harkirat SS, Melinda H. Long-lasting performance of pyrethroid-PBO LLINs against pyrethroid resistant mosquitoes: a post market evaluation of PermaNet® 3.0. In: American Society of Tropical Medicine and Hygiene, Annual Conference, Poster Number 1302. ; 2022.
4. Tungu PK, Athinya DK, Peter M, Frank M, Harkirat SS, Melinda H. Long- lasting performance of pyrethroid-PBO LLINs against pyrethroid resistant mosquitoes: Post market evaluation of PermaNet 3.0. In: Pan-African Mosquito Control Association; 2022 Annual Conference, Parallel Scientific Session 6, Abstract Number ABS-600. ; 2022.
5. Athinya DK, Melinda H. Post market surveillance of pyrethroid-PBO nets: learnings from PermaNet® 3.0. In: American Society of Tropical Medicine and Hygiene; 2021 Annual Conference, Poster Number 996. ; 2021.